dimanche 17 avril 2016

Utilitarisme

L'utilitarisme est une doctrine philosophique qui prolonge en un sens les mouvements pragmatique et empirique du XVIII. Elle consiste à évaluer la valeur de toute action par rapport à son utilité : l'intention n'est pas prise en compte, et l'utilité va au-delà du simple résultat de l'action. Il s'agit de prendre en compte toutes les conséquences de l'acte, et pas simplement le résultat direct sur les principaux protagonistes, mais l'ensemble des conséquence sur la société, voire au-delà...

Cette approche se rapproche de ce que développe Asimov avec ses lois robotiques. Le sens moral ultime développé par un robot capable d'anticiper une chaîne quasi-infinie de causes-conséquences suit cette doctrine. En étant capable d'anticiper de cette manière le futur, et en plus en étant suffisamment malin pour réussir à influencer ce futur sans avoir à commettre de sacrifice, le robot est omniscient et développe ce sens moral au service non pas d'un humain ou des humains, mais de l'humanité.

Cette approche est séduisante de par son côté très pragmatique, ce qui la rend difficilement discutable. Non seulement elle se veut mesurable, mais en plus elle dépasse les individualités et sait en plus traiter à la fois les règles générales et les cas particuliers.
L'utilitarisme prône l'établissement de règles et de lois : car globalement celles-ci rendent le monde plus sûrs, et donc la vie y est de meilleure qualité. Mais en plus l'utilitarisme sait traiter les cas particuliers en mesurant a posteriori les effets bénéfiques ou néfastes sur la société.

Mais l'approche devient discutable lorsqu'on la met en pratique : ce qui est le comble pour une doctrine issue du pragmatisme :)
Déjà, en pratique, il est impossible de mesurer les conséquences infinies d'une action : à moins d'être omniscient. Ce qui rend toute action et tout jugement très ambiguë : une action peut être réalisée avec les meilleures intentions du monde, atteindre un résultat immédiat positif et entraîner des conséquences à long terme globalement néfastes pour la société. L'action initiale sera alors jugée mauvaise.
En plus, il est très difficile de définir des critères permettant de comparer des situations afin de juger lesquelles sont à rechercher. La première approche consistait à mettre tout le monde sur un pied d'égalité. Le bien-être ou le bonheur d'un paysan comptait autant que le bonheur du Roi : approche ultra-égalitaire et universelle. Même si ceci ne fait que déplacer le problème : comment mesurer le bonheur ? :) La définition s'est d'abord placée sur le domaine du plaisir, puis du bonheur, puis du bien-être... on sent bien que le courant philosophique se cherchait.
On sent aussi une grande part de subjectivité dans cette approche pragmatique. On peut hiérarchiser les plaisirs dans l'absolu ou selon le bonheur qu'ils procurent : tout le monde ne ressent pas le bonheur de la même façon, certains sont plus exigeants que d'autres. Faut il offrir davantage aux personnes exigeantes sous ce simple prétexte ? La définition a aussi englobé tous les êtres sensibles à un moment : animaux compris donc.
Ce qui a poussé les utilitaristes à hiérarchiser les êtres vivants : il est raisonnable de penser qu'un être capable de projets offrira un potentiel plus important pour améliorer le bien-être commun. Mais ceci reste discutable. La hiérarchisation des préférences conduit au même résultat, si on met en balance le plaisir d'un animal de survivre face au plaisir d'un homme de réaliser des projets. On ôtera la vie d'un animal aussi facilement qu'on empêchera un homme d'accomplir ses projets... L'universalisme en prend un coup là...
Un autre courant a abandonné le plaisir au profit d'une définition négative : il ne s'agit plus de mesurer le bonheur et de le maximiser globalement, mais de mesurer la souffrance et de la minimiser. Ce qui en fait n'est qu'une hiérarchie de plus, plaçant la souffrance au-dessus du bonheur dans toute comparaison.

Autres critiques, plus sociales cette fois : l'utilitarisme se détache de toute notion de justice et d'égalité. Si globalement le système est mieux optimisé (du point de vue de la souffrance ou du bonheur) en sacrifiant une partie de la population, alors ce sacrifice devra être fait, cette inégalité sera jugée morale. Et que se passerait il dans une société malsaine ou un grand nombre souhaiteraient opprimer un plus petit nombre? La conclusion est évidente : il faudrait favoriser le ration bonheur/souffrance du plus grand nombre. Le nombre fait loi.

Au final, les défenseurs de l'utilitarisme ont quasiment toujours trouvé réponse à tout, en faisant évoluer légèrement leur théorie, en modifiant le critères de mesure de l'utilité, en introduisant des seuils, des moyennes, en élargissant la chaîne des causes-conséquences... Ce qui ressemble pour moi à un aveu d'échec : la théorie est séduisante, la pratique l'est moins.

Deux mots en guise de conclusion :
Le premier pour dire qu'appliquée à l'individu cette théorie est en plus destructrice, car elle pousse à une culpabilisation sans fin. Si nous devons juger le moindre de nos actes suivant leur utilité face au monde, alors nous allons sans arrêt juger futiles ceux-ci (encore plus qu'il ne le faudrait?), et nous nous sentirions coupable de ne pas œuvrer sans cesse au bien-être de la société. Une telle société serait sans doute le paradis, et le bonheur de chacun serait assuré par les efforts de chacun en faveur de la communauté, mais c'est clairement une utopie, ou chacun serait l'esclave du monde entier...
Le deuxième pour rapporter l'exemple classique des naufragés sur un radeau de fortune : s'ils veulent survivre et maintenir l'embarcation à flots, ils doivent alléger l'embarcation et sacrifier un naufragé : que faire? Ne sacrifier personne et prendre le risque de tous couler, ou prendre les devants et en sacrifier un? Dilemme morale absolue, qui méritera un petit article :)


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