Pas la peine de s'éterniser sur le port du niqab, les raisons semblent évidentes en France : raisons de sécurité, de réciprocité (je marche le visage découvert, j'attends la même chose de mon prochain), culturelle (le visage masqué est synonyme de bandit), dégradation de l'image de la femme, soumise...
Mais le voile? le simple voile, pourquoi il cristallise autant les attentions?
J'y vois quelques raisons, mais toutes ne tiennent pas la route quand on y pense...
Première raison : la laïcité. Mais au contraire, la laïcité devrait nous pousser à l'indifférence. Le signe religieux n'est pas gênant en république laïque, le prosélytisme à la limite.
L'image de la femme, rabaissée ? On peut se demander ce qui rabaisse le plus la femme, le port du voile, ou celui du string? Je pense que l'utilisation de l'image de la femme est plus dégradante dans notre société de consommation que dans la religion (même si elle est loin d'être parfaite en religion).
Je pense que ce qui heurte le plus le Français moyen c'est la soumission et l'inégalité qui se dégage de cette coutume.
La soumission d'abord : le Français est globalement râleur et insoumis, la Révolution fait partie de notre culture, ainsi qu'un certain rationalisme (Descartes par exemple...) qui ont eu tendance à nous éloigner des dogmes religieux, jusqu'à la séparation de l'église et de l'état. Ce qui n'est pas rien pour le pays qu'on appelait la fille aînée de l'église. La France a laissé (et garantit) la liberté de penser et la liberté de culte à chacun, elle a laissé les églises perdurer, et de fait, elle a accepté que certains dédient leur vie à leur religion : prêtre, curé, sœur... Et petit à petit, la France est devenu de moins en moins pratiquante, laissant les rituels aux professionnelles de la religion, leur abandonnant la pratique stricte du culte. Du coup, la simple pratique stricte d'un rite religieux est vu comme une singularité pour le Français moyen laïque ou faiblement pratiquant : ce respect des pratiques religieuses est vu comme une soumission à un dogme religieux, contraire aux valeurs révolutionnaires et rationnelles. Cette soumission/respect (ceci dépend du point de vue) est acceptée dès lors qu'on s'engage totalement dans une religion (prêtre, curé, imam, rabbin...), mais en dehors de ce cas, il est étrange. Si le message divin était plus libertaire, il serait mieux acceptée de la société française : le français souhaite avoir le choix, critère de liberté par excellence. Si le signe religieux devient un choix, alors il sera mieux accepté que lorsqu'il est imposé. On aura tendance, inconsciemment, à voir celui qui respecte une loi arbitraire, sans explication rationnelle, comme la victime d'un système injuste, qu'il faudra libérer et émanciper, à qui il faudra urgemment apporter nos valeurs occidentales d'égalité. On est dans une logique de colonisation, sans s'en rendre compte.
L'autre point qui coince est l'inégalité flagrante qu'il existe entre hommes et femmes. Même si la France n'est pas un modèle d'égalité, elle essaye d'y tendre, et la mise en place d'un système inégalitaire est nécessairement choquante, ou en tout cas interrogative. Un système qui impose arbitrairement une règle, sans explication, passe déjà mal, mais si en plus les règles ne sont pas les mêmes suivant le sexe, on trouvera ceci discriminant et injuste. On verra alors la femme comme victime de la religion, martyr dont la liberté est sacrifiée, et on sera à nouveau tenter de revêtir notre costume de justicier pour aller rétablir l'ordre et la justice...
Maintenant, on peut se poser la question de la femme dans notre société. Elle devient souvent femme objet, victime de la société de consommation et de la mode, qui peut la conduire jusqu'à vendre son corps et son sexe. Le consentement est la clé de la vision qu'on porte à ces situations : lorsque la victime est consentante, elle perd immédiatement son statut de victime. Une mannequin ou une prostituée, si on l'imagine consentante ne sera pas vu comme une victime, ne sera pas vue comme une femme à libérer. Mais ce qui donne de la valeur à ce consentement, ce n'est pas juste l'expression de la volonté libre de l'individu, c'est la possibilité de choisir, choisir une voie plutôt qu'une autre. La voie choisie apportera plus ou moins de choses à l'individu, c'est un compromis individuel et personnel à faire. Mais lorsque le choix est imposé par la force, ou que ces conséquences extérieures sont trop importantes (exclusion de la communauté), alors la notion de choix perd de son poids... Une femme qui choisit de faire carrière dans le porno ne sera pas vue comme une victime, à l'inverse une femme pour qui le regard de la société ou de sa famille est un poids trop lourd et ne peut assumer ses choix, ne peut vivre comme elle l'entend sera vu comme une victime. Et tout le problème est là : comment jugée de la liberté individuelle de choisir? Vu de l'extérieur, on peut toujours questionner cette notion de choix, seule la vision subjective peut trancher... pour peu que la personne ne soit pas manipulée ou sous l'emprise d'une autre personne ou d'un système (et la question se pose aussi pour la société occidentale)
La conclusion pour moi est de savoir quel est l'état que l'on souhaite construire. Un état suffisamment libre pour permettre non seulement la liberté de penser mais aussi la mise en place de systèmes inégalitaires et restrictifs? Souhaite t'on imposer la liberté et l'égalité?
La réponse individuelle est claire : l'état ne souhaite rien imposer afin de pouvoir garantir la liberté de penser, et d'agir dans la sphère privée. L'état ne cherche pas à défendre ceux qui font le choix de se placer dans une position de faiblesse, dégradante ou simplement injuste (sauf exception lorsqu'on abuse d'une personne jugée fragile).
La réponse collective est plus floue : le collectif est avant tout une somme d'individualités, donc on devrait appliquer la même logique. Excepté que le collectif impose des règles pour faire partie de ce collectif, et que ces règles ne relèvent alors plus du choix individuel. L'état peut il et doit légiférer sur ces règles, pour les encadrer? Il le fait dans le cadre du travail par exemple, mais la laïcité française l'a poussé à ne pas le faire dans le domaine religieux. Poussé dans ses retranchements, l'état à légiférer sur les sectes : ce qui lui a permis d'interdire certaines pratiques religieuses, mais il n'est pas allé plus loin, il n'est pas allé jusqu'à définir les critères d'une religion acceptable, compatible avec ses propres règles. Toute l’ambiguïté et la gêne actuelle résident là : l'état ne peut à la fois garantir liberté et égalité d'un côté, et laïcité (liberté de culte) de l'autre. La liberté de culte impose l'acceptation des inégalités à l'intérieur de la religion, et inversement, l'égalité imposée rend illégal toute système discriminant. Jusque là, le problème ne se posait pas vraiment, des compromis se faisaient naturellement, car on restait globalement dans une zone grise, dans des seuils acceptables. Mais la question du voile nous pousse à prendre position entre les valeurs de liberté-égalité et de laïcité, quelle valeur doit on (veut on) placer au sommet de notre système? Il s'agit un peu de choisir entre le pacte social (créant la société) et le pacte religieux (créant la religion) : lequel respecter lorsqu'ils s'opposent? La religion doit elle s'adapter aux règles de la société dans laquelle elle s'implante, ou bien la société doit elle s'adapter aux règles religieuses? La laïcité suppose que ces deux mondes ne doivent pas interagir ensemble, et doivent rester sur des plans distincts...
Personnellement, ça sera liberté-égalité... même si un tel système reste imparfait, c'est le moins pire d'après moi, celui qui me semble le plus juste. Tant pis si je dois faire une croix sur toute une spiritualité si c'est le prix à payer pour aller vers plus de justice, et faciliter l'émancipation et l'épanouissement de chacun. La laïcité ressemble de plus en plus à mon avis à un concept théorique qui n'a plus pied dans la réalité : le religieux et le sociétal se sont rencontrés, on ne peut plus les considérer comme disjoints et considérer qu'il n'y a aucune interaction ou ingérence d'un domaine sur l'autre...
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