samedi 9 février 2013

Les rats plongeurs

Petite expérience de Didier Desor de l'université de Nancy : la video.

Prenez 6 rats, mettez de la nourriture de l'autre coté d'un tunnel rempli d'eau et observez.
Des rôles vont apparaître :
- 1 autonome qui ira chercher sa nourriture, reviendra et la mangera sans se laisser embêter par les autres
- 2 plongeurs qui ont le courage d'aller chercher la nourriture, mais se la font voler lorsqu'ils la rapportent
- 3 dominants qui volent la nourriture dès qu'elle est rapporté par un autre
Et une fois les dominants rassasiés, les plongeurs-ravitailleurs peuvent manger tranquillement ce qu'ils rapportent.

Ces résultats sont quasi constants lorsqu'on part de rats "naïfs".
On obtient les mêmes résultats lorsqu'on regroupe 6 rats plongeurs : des dominés apparaissent.
Par contre, en réunissant des dominants, il semblerait qu'on obtienne un résultat différent : ils ont plus de mal à se transformer en plongeurs et ont moins tendance à se faire dominer à leur retour, ce qui fait d'eux des autonomes (mais la vidéo ne va pas assez loin sur le sujet... dommage...)
Autre changement de protocole : sous tranquillisants, les rats (privés de peur et d'angoisse) deviennent des plongeurs. Ils affrontent l'eau sans réticences.
Autre variante : lorsque les plongeurs sont rassasiés avant le début de l'expérience, ils ne plongent pas au service des autres, et les dominés n'osent pas se jeter à l'eau. Ils essayent bien de pousser les plongeurs, mais sans vraiment de réussite.
Dernière variante : en changeant le type d'épreuve (remplacer l'eau par un autre mécanisme), les rôles des rats ne sont plus nécessairement les mêmes.


Petites hypothèses variées, qui prêtent beaucoup d'intelligence aux rats ou à la vie :
- le rat qui accepte de se faire voler la nourriture sauve peut être sa vie. Sans ce geste, les rats dominants pourraient le bouffer...
- le rat qui accepte de se faire voler permet au groupe de vivre, de rester nombreux et fort.

Variantes trouvées dans divers endroits, mais dont les sources ne sont pas vérifiées :
- au final, les rats les plus stressés seraient les dominés. Logique, ils dépendent des autres et ont beaucoup à perdre.
- en augmentant le nombre de rats (passer de 6 à 200 par exemple), on augmenterait la violence des dominants, avec notamment des souffres-douleurs qui se contenteraient de miettes ou qui serviraient d'exemples...
Autant la première variante me semble raisonnable, autant la seconde l'est moins... même si elle était séduisante :) (toujours se méfier et garder un oeil critique...)



Que peut on en conclure?

Je pense que le mécanisme est relativement simple à comprendre. Pousser par la faim, un premier rat un peu moins peureux que les autres ira chercher de la nourriture. De retour, il fera des envieux : soit il sera suffisamment fort pour conserver son bien, auquel cas ça poussera un autre rat à vaincre sa peur et à aller dans l'eau, soit il se fera voler sa nourriture. Et dans ce cas, ayant déjà fait le chemin une fois, il n'hésitera pas à y retourner : par contre, de voir u voleur manger pourra donner des idées à d'autres rats, et en faire des dominants. Après, je pense qu'on doit pouvoir dire que c'est une question d'équilibre : 2 plongeurs, 3 dominants, 1 autonome doivent refléter le tiraillement des rats entre la peur de l'eau, la force brute et le besoin de nourriture. L'eau serait plus dangereuse, il y aurait peut être plus d'autonomes et moins de dominants... Il est ensuite normal de voir les rôles s'affirmer : il ne s'agit que de spécialisation. Pourquoi changer de rôle quand chacun y trouve son compte? Mieux vaut travailler ses points forts...

Autant le mécanisme me semble accessible, autant les conclusions sociologiques me semblent délicates : quelque part, les conclusions dépendent du regard qu'on pose sur le monde : la complexité du raisonnement des rats nous échappant, on ne peut que s'appuyer sur des croyances.

Une vision fataliste, voire cynique, nous amène à penser que :
- la rareté d'une ressource fait naître des rôles de dominants
- les dominants exploitent les services des autres
- les exploités sont servis après les dominants (ce qui tend à nier tout altruisme volontaire et individuel, mais pas celui d'une conscience collective inaccessible à tout un chacun)
- c'est grâce aux exploités que les choses avancent : les dominants n'apportent que peu de choses à la société
- les exploités possèdent quelque chose que les dominants n'ont pas : le courage, puis la nourriture, malheureusement, ils n'ont pas la force.
Vision qu'on peut sauver (peut être) par un peu de justice :
- l'angoisse et la peur sont dans le camp du dominant, pas dans celui de l'exploité. Heureux les simples d'esprits et heureux les dominés...Ce qui me semble malheureusement raisonnable : l'homme cherche souvent à être contraint pour être plus "heureux" et ne pas avoir à gérer le poids de sa conscience, de ses choix, de sa liberté...Mais c'est un autre sujet. Peut on aller jusqu'à penser que la peur et l'angoisse prédisposent à être dominant?

Une vision naturelle peut nous pousser vers de l'optimisme en nous faisant voir tout ceci comme une simple collaboration et une spécialisation des rôles. La nature est tellement bien faite qu'elle met en place une structure permettant de conserver une importante population et une grande diversité des caractères et des aptitudes.

On peut par contre retirer quelques faits (qui ressemblent presque à du bon sens).
Des rôles distincts apparaissent naturellement face à un problème. Ceci est il une règle de la vie en société?
Les rôles dépendent de l'entourage : on n'est pas dominant ou dominé dans l'absolu, mais on l'est dans un groupe, par rapport aux autres.
Les rôles dépendent aussi du problème posé : on peut être en retrait / dominé sur un sujet, face à un certain problème et prendre un tout autre rôle dans un autre contexte. Nous ne sommes pas tous égaux.
La règle de la société est peut être le simple reflet des différences des gens qui composent la dite société : nous serions tous égaux (et identiques), peut être qu'aucun rôle n’apparaîtrait..

L'extrapolation à l'homme se fait relativement bien je trouve, si ce n'est que les rôles sont plus complexes, mais dans les groupes on voit toujours apparaître un leader, un bouffon, un "pacifieur", un rebelle ..etc... Les rôles dépendant bien évidemment de la constitution du groupe et du sujet. Même si je pense qu'on doit pouvoir trouver une certaine constance (toute relative) dans l'attribution des rôles sur des sujets différents (le charisme reste global, la timidité aussi...).

Et enfin, la conclusion la plus positive à mon sens reste que le fait que, poussé par un besoin, une envie, on peut être amené à dépasser sa peur. Et le fait d'affronter notre peur (avec succès) nous permet bien évidemment de prendre confiance en nous . Enfin, ça reste à moitié positif comme conclusion, car affronter sa peur et se louper aura l'effet inverse généralement :) Qui a dit que la vie était facile?

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