Drôle d'expérience décrite ici, dont les résultats auraient été publiées dans la revue Science.
Il s'agit d'essayer de pousser l'homme à rester seul face à ses pensées, et de voir sa réaction... La plupart des hommes trouvant cela désagréable, l'expérience a poussé le jeu un peu plus loin en laissant le choix entre deux choses désagréables : la souffrance et l'ennui.
Un peu de détails (tant pis si je paraphrase l'article originale) : la première expérience consistait simplement à demander à des volontaires de rester entre 6 et 15 minutes sans rien faire, si ce n'est à se perdre dans leurs pensées. Résultat : l'expérience était jugée désagréable, un tiers a même reconnu avoir triché et s'être tourné vers une distraction extérieure (musique, téléphone...)
Les chercheurs décident alors de corser un peu l'expérience : ils commencent par sélectionner les candidats les plus sensibles aux chocs électriques. Ils ne retiennent que ceux prêts à payer (une petite somme : 5 dollars) plutôt que de devoir supporter un nouveau petit choc électrique. Ceux là sont ensuite inviter à ne rien faire dans une pièce pendant 15 minutes, leur seules distractions étant leur pensée, ou un bouton leur envoyant la même petite décharge électrique. Résultat : deux tiers des hommes ont appuyé sur le petit bouton, contre un tiers des femmes.
Conclusion :
On préfère la souffrance à l'ennui, pour reprendre une citation de Schopenhauer En tout cas une bonne partie de la population trouve l'ennui plus insupportable que la souffrance.
L'expérience a aussi peut être des vices cachés : les cobayes ne cherchaient peut être pas à tromper l'ennui, mais succombaient peut être simplement à la curiosité. Seul face à un bouton rouge, j'imagine qu'il est toujours extrêmement tentant d'appuyer dessus... juste pour voir, ou juste pour se procurer quelques sensations fortes... Les cobayes cherchaient peut être aussi à s'affirmer : à réfléchir plusieurs minutes, à se perdre dans nos pensées, on se fait rapidement des films sur l'expérience qu'on est en train de vivre, on s'imagine les résultats du tests, on se fait des films sur leur interprétation... et on se dit qu'on ferait peut être mieux d'être actif et d'endurer la petite décharge. L'expérience a aussi été réalisé seulement avec une cinquantaine de participants : est ce raisonnable de tirer des conclusions à partir d'un si petit nombre? C'est aussi une question d'intensité : l'ennui était relatif (quelques minutes seul avec soi-même), et la souffrance aussi (une décharge électrique moyenne). Bref, les biais potentiels sont nombreux, mais jouons le jeu, pour voir...
Cette préférence de la souffrance à l'ennui est-elle un trait de caractère profondément humain, ou simplement le résultat de notre société moderne d'hyper-activité, d'hyper-distraction où l'on est sans arrêt la proie de stimuli extérieurs? Notre cerveau n'est plus habitué à l'introspection, celle-ci nous fait même peur. Peur de l'inactivité, de la solitude et de l'introspection. Mais c'est peut être condamner cette société un peu vite : l'expérience aurait été réalisé il y a deux siècles, elle aurait peut être rapporté les mêmes résultats. Les anciens philosophes ont toujours vu l'ennui comme un ennemi pour l'esprit humain : il s'agit donc peut être là d'un trait normal, d'une aversion normale et répandue (à défaut d'être saine).
La question qu'il aurait fallu se poser était plutôt de savoir si les personnes capables de rester dans leurs pensées étaient plus heureuses que les autres. En clair, faut il y voir là une qualité pour mieux vivre, ou bien est ce juste un trait de caractère distinctif mais inutile, comme la couleur des cheveux? Faut il y voir une qualité à développer ou bien juste une capacité ni bonne ni mauvaise? Chacun aura sans doute son opinion sur la question : ceux qui sont attirés par la sagesse, la méditation et l'introspection défendront bien entendu les mérites d'avoir une vie intérieure riche, et les aventuriers, ceux qui vivent dans l'action ne jureront que par l'expérience, la confrontation au réel... et chacun trouvera sans doute sa réponse évidente, même si au fond il en sentira les limites, car personne n'est à 100% sage ou à 100% aventurier. Je pourrais facilement vanter les mérites d'une vie intérieure riche et épanouissante... mais je ne pourrais m'empêcher de penser que j'exagère un peu le trait, et je ne pourrais pas non plus m'empêcher d'envier ceux qui sont capables de s'émerveiller d'un rien dans le monde réel, qui débordent d’enthousiasme à la moindre occasion, qui s'amusent d'un rien et s'émerveillent d'un rayon de soleil. J'envierais un peu moins ceux qui se perdent dans des divertissements futiles, mais ce n'est que mon jugement et s'ils débordent aussi d'enthousiasme, où est la différence? Que l'épanouissement et l'enthousiasme viennent de l'intérieur ou de l'extérieur, peu importe... D'un point de vue pratique, on peut par contre toujours dire qu'un bonheur qui vient de l'intérieur est plus stable, plus sûr qu'un bonheur qui viendrait de l'extérieur : moins soumis aux aléas et au hasard, c'est l'argument classique des sages, mais ceci revient aussi à se couper d'une partie du monde : est ce vraiment si enviable?
Au final, comme bien souvent, on n'est pas bien avancé, et j'ai beau chercher moi même à développer ma vie intérieure, je ne suis pas persuadé que ce soit la meilleure chose à faire, je doute perpétuellement :) Il n'y a pas de vérité, pas de recette toute faite : vous pouvez passer votre vie à méditer, et le regretter sur votre lit de mort, tout comme vous pouvez passer votre vie à multiplier les aventures et les activités, et trouver votre vie bien futile sa fin approchant... L'essentiel reste d'avoir conscience de ces choix, de se questionner sans cesse, et de choisir en son âme et conscience, à défaut de choisir en connaissance de causes.
Conclusion (bis) : il ne reste plus qu'à essayer de rester inactif et sans autre distraction que ses propres pensées pendant une quinzaine de minutes... chose que les insomniaques doivent faire tous les soirs je pense :)
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