... ou plutôt celui de la discussion.
Il existe différents registres, ou différents objectifs dans une conversation, certains sont sains, d'autres sont maladroits, voire carrément nocifs. Je vais les prendre dans le désordre (peut être qu'à la fin de mon article un ordre apparaîtra)
Number 1 : l'acquisition d'informations. On se contente d'écouter l'autre, on cherche simplement à comprendre son raisonnement, on lui suggère de développer son raisonnement sans lui poser de questions trop directes : celles-ci l'influenceraient, le détourneraient de son raisonnement, le modifieraient. Le but ici est d'accéder à l'information brute, à la pensée de l'interlocuteur. On peut y voir des sous-catégories selon qu'on s'intéresse à l'information intelligible : le raisonnement et la pensée de l'interlocuteur, ou à l'information sensible : le ressenti et les émotions de l'interlocuteur. On doit pouvoir trouver d'autres registres, mais le but reste le même : obtenir une description brute et totalement subjective de la part de l'interlocuteur. L'échange est limitée de par cette position volontairement passive.
Number 2 : l'appropriation d'informations. On ne cherche plus à accéder à la subjectivité de l'autre, on cherche à la faire sienne, à s'approprier le raisonnement ou le ressenti de l'autre. Nos questions seront donc plus intrusives, car plutôt que de lui demander de développer son raisonnement, on appuiera particulièrement sur les points que l'on ne comprend pas, sur les points qui ne franchissent pas la barrière entre les deux subjectivités. Et tant que ces points ne seront pas clairs pour nous, alors les questions continueront : l'insistance liée à l'incompréhension pourra facilement être interprété comme une forme de harcèlement, ou comme une agression. Rien de mieux pour comprendre un mécanisme que de le démonter, pour le remonter ensuite. Tenir quelque chose pour Vrai est difficile, voire impossible, on se contente alors du Non Faux : ce qui résiste à toutes nos attaques (de l'esprit, de la raison) est ce qui s'approche le plus de ce que nous pouvons considérer comme Vrai.
Number 3 : se faire comprendre. C'est le symétrique du 1. Le but ici est de se faire comprendre, de s'expliquer, voire de se mettre à nu. On ne cherche ni l'appropriation par l'autre, ni son approbation. On cherche juste à exposer ce que l'on est, ce que l'on pense, ce que l'on ressent. Le ton n'est pas forcément neutre dans la mesure où l'on peut être impliqué dans notre récit, mais la réaction de l'autre est de faible importance : qu'il soit étonné ou pas, qu'il s'interroge ou pas, peu importe... par contre, la compréhension reste importante. L'autre peut désapprouver, penser qu'on a tort, penser que lui, à notre place penserait et agirait différemment, l'important est qu'il nous comprenne.
Number 3 : la persuasion. Symétrique du 2, on ne cherche plus à écouter ou comprendre l'autre ici, on cherche à le convaincre de notre point de vue, voire à lui imposer notre subjectivité. Ce mode de communication est tout aussi violent que son opposé dans la mesure où il ne s'arrête qu'une fois l'objectif atteint, qu'une fois que l'autre s'est rangé de notre côté, du côté de la Raison (subjective, toujours...). On pense détenir la Vérité, et ceci nous donne le droit de l'imposer, voire le devoir de l'imposer en ouvrant les yeux de ceux qui n'ont pas encore accepté cette Vérité.
Number 4 : le débat. C'est le point d'équilibre entre l'appropriation et la persuasion. On cherche à la fois à comprendre l'autre tout en essayant de se faire comprendre de l'autre, mais pas en restant passif, pas en restant chacun dans sa subjectivité. On cherche à s'influencer l'un l'autre : on cherche à influencer l'autre tout en acceptant de se faire influencer. On met en jeu sa Vérité contre celle de l'autre, et de manière raisonné on essaye de voir ce qui peut en ressortir : un compromis, une vérité qui s'impose sur l'autre? En tout cas, les deux en ressortiront grandis d'un nouveau point de vue, et on peut espérer une forme de progrès issu de la confrontation des idées de chacun.
Number 4' : le débat mou, point d'équilibre entre l'acquisition d'informations et le don d'information, où les subjectivités ne s'entremêlent pas, mais restent disjointes. La conclusion d'un tel débat est presque inutile, il s'agit de s'arrêter à la reconnaissance de la subjectivité de l'autre : chacun son avis, chacun son opinion. Cette conclusion peut être bonne lorsqu'elle met un terme à un débat un peu passionné où les subjectivités de chacun n'évoluent plus et restent figées, mais si cette conclusion arrive trop souvent ou trop rapidement, elle est simplement le signe d'un trop grand respect envers l'autre ou d'une trop grande peur de le heurter (ou de se faire heurter) : on se protège alors avec ce genre de conclusion, on évite de se mettre en danger. On ne ressort pas réellement grandi de ce genre de débat, aucun des deux n'a évolué. C'est une forme de non communication : il n'y a pas réellement d'échange, on tombe trop vite dans un politiquement correct qui sera de façade.
Number 5 : la lutte pour le dernier mot, ou le combat des egos. La dernière forme de non-communication, ou il ne s'agit plus de comprendre ou de se faire comprendre de l'autre, il s'agit uniquement d'avoir le dernier mot. La raison a quitté les lieux, à la différence de tous les autres modes de communication. En effet, même dans la persuasion, on cherche à imposer notre raisonnement à l'autre : il y a un échange, forcé et à sens unique, mais un échange quand même. L'autre peut résister. En cherchant à avoir le dernier mot, on ne cherche plus à avoir raison, le but de la conversation n'est plus d'imposer un point de vue (ou d'arriver à un point de vue commun), le but est simplement d'avoir raison. On abandonne le combat des idées et on ne retient que les apparences, la forme : la meilleure idée, celle qui l'emporte, dans un débat est celle qui met tout le monde d'accord, celle qui clôturé le débat, à défaut d'avoir la meilleure idée, on cherche à clôturer le débat. On aura ainsi pour nous (et notre ego) les apparences de notre côté.
On est là typiquement dans la scène de ménage : elle éclate généralement pour une raison futile, et rapidement le débat se moque de la raison initiale et dérive, tous les coups sont permis pour avoir le dernier mot, on rebondit d'idée en idée, de contradiction en contradiction pour réussir à laisser l'autre sans voix. Le problème de la scène est qu'elle ne s'arrête jamais, ou plutôt elle ne s'arrête qu'avec la reddition, voire la destruction d'un des deux protagonistes.
Ouf! Enfin terminé !
Bref, le problème dans tout ça est qu'on ne se rend pas toujours compte du registre dans lequel nous nous plaçons, sinon il n'y aurait que des débats et des échanges constructifs. A chacun donc de veiller sur soi même et d'avoir conscience de la tournure que prennent les échanges.
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