Exercice de style ce soir, dans la peau d'un addict, ou plutôt d'un ex-addict, pour qui la drogue, sa drogue, son obsession est un passé qui le hante, jour après jour.
Tiré du sommeil par le réveil, la journée commence, pâteuse. Je pense à ce qui m'attend aujourd'hui, le quotidien : rien d'exceptionnel, rien de très réjouissant. Ma réalité est fade. Je me décide à sortir de mon lit, il le faut bien. Je repense à l'âge d'or de mon addiction : la dépendance apportait au moins de l'énergie et de l'envie. L'addiction était nocive, mais elle apportait de l'intensité en chaque chose, en tout cas elle en a laissé le souvenir.
Je me dis que je vais mieux ce matin : petite victoire, j'ai tenu 5 minutes avant que mes pensées ne me renvoient à mon obsession, à mon passé. Je chasse cette pensée et me concentre sur ma journée qui démarre. Le quotidien ne demande plus aucune attention, je me force à lui prêter de l'attention.
Ballotté par les transports en commun, l'attention retombe, la rêverie s'installe, l'esprit repart libre. Il retourne vers son éternel centre d'attraction. Il suffit de le laisser 5 minutes en liberté pour qu'il y retourne. Je me souviens de ce sentiment de plénitude, et si je cédais, juste du bout des lèvres, pour re-goûter à ce plaisir maintenant interdit. Ça ne ferait de mal à personne, peut être pourrais je mieux contrôler la situation cette fois, n'avoir que les bons côtés. Et si je me laissais tenter ? Je vais y réfléchir plus tard, ça serait dommage de craquer sur un coup de tête, je vais me donner le temps de la réflexion. Cette astuce mentale me donnera au pire un délai supplémentaire, un répit. Je trompe moi même mon esprit lorsque je n'arrive plus à l'occuper. Est ce pleinement conscient? Je l'ignore et m'en moque.
La journée de travail commence. L'effervescence a du bon, je peux m'y laisser aller. Je n'ai plus à me soucier de mon esprit et de ses divagations, mon esprit est occupé sans que j'ai à m'en occupé.
Première pause café, première pause tout court. Mon attention aux conversations de café diminue, je vois le piège arriver trop tard. Les pensées compulsives s'installent, elles s'insinuent et grignotent petit à petit le reste de mon attention. Je repense à l'âge d'or de l'addiction, au bien être, même illusoire, qu'elle m'apportait. Je repense à la lutte que j'ai mené pour m'en débarrasser, je pensais l'avoir emporté : mes pensées actuelles me font dire que j'ai peut être parlé trop vite. Je retourne m'occuper l'esprit. Il me faut de l'activité, un divertissement.
La pause méridienne est mieux gérée. Je reste concentré et actif dans la conversation : pas de place pour les rêveries. Vivre au présent, s'ancrer dans le présent est une bonne méthode pour éviter de retourner dans le passé. Elle n'est juste pas naturelle chez moi, je me dis qu'elle finira par le devenir. Tout est une question d'entraînement. Non?
Je sors du travail, trop tard. Je regrette de constater que je passe de plus en plus de temps au travail, je ne compte plus mes heures. Je ne remplace pas encore une addiction par une autre, mais ça en prend le chemin. Sauf que, tant qu'à choisir, je préfère encore rester en sevrage éternel : l'addiction au travail ne m'attire pas, le souvenir du passé m'apporte au moins un mélange de réconfort et de tristesse. L'hyper activité apportée par le vide à combler m'épuise, je sors lessivé, physiquement et mentalement. Le cerveau ne connaît que trop peu de répit : pris entre les pensées compulsives et les divertissements qui sont nécessairement des phases d'activités intenses. Le détournement est à ce prix.
Retour par les transports. Impossible d'échapper à la rêverie. La pensée du matin revient. Et si je craquais? Juste un peu, juste une fois, pour voir si l'effet est toujours le même? Avec un peu de chance, je m'apercevrais que je ne suis plus sous l'emprise de cette drogue. Ma raison commence à jouer contre moi, et à devenir fallacieuse. Elle ne m'aura pas, pas aussi facilement. Le combat interne recommence : céder ou résister? A quoi ça sert de résister? Tout perd son sens plus rien n'a de sens. Je me dis que je céderai à ma pulsion plus tard dans la soirée. C'est un répit supplémentaire, ni vu ni connu.
L'addiction, comme toute obsession, nous pousse à nous replier sur nous-même. Il devient trop dur de s'intéresser aux autres, de les écouter, d'être attentif. On ne brûle que de leur parler de cette obsession, mais en même temps, on en a honte. On réalise bien qu'on devient mono-maniaque, et qu'à force on va soûler tout le monde, si ce n'est pas déjà fait. On réalise bien que les autres ne peuvent rien pour nous de toute façon. Alors on se tait, et on garde ces pensées pour soi. On fait semblant, on donne le change, on s'interdit d'être soi, on se dit que c'est ce qu'il y a de mieux. Mais le masque devient de plus en plus lourd à porter, et tout ce jeu perd de son sens. A quoi bon entretenir une vie sociale si c'est pour mentir à tout le monde? Alors on s'enferme dans la solitude : plus de masque à porter, juste des démons à affronter. On se dit que le temps sera notre allié. C'est une question de temps, il faut tenir suffisamment longtemps. Pourvu que ce ne soit qu'une question de temps.
La soirée passe. Je tourne en rond, je repousse sans arrêt à plus tard l'instant fatidique. Chaque minute passée est une minute de gagnée, même si l'issue ne fait plus aucun doute, même si je n'arrive pas à chasser les images de ma tête. J'attends sans doute un signe divin pour m'empêcher de sombrer à nouveau. La télé vide l'esprit, au moins un temps. L'attirance est toujours là, mais le repoussoir aussi, la lutte interne se poursuit, indéfiniment. Je sais que céder à la tentation est mal, et ne me permettrait pas d'avancer. Je sais que les bons côtés ne sont qu'une illusion, que la mémoire est sélective et qu'on ne retient que le positif. Je me force à me remémorer les mauvais côtés de l'addiction, à me remémorer les raisons de mon sevrage. Si je veux aller de l'avant, il faut tenir, si je veux aller de l'avant, il faut passer à autre chose. Mais il est dur de se forcer à oublier un passé trop présent : le vouloir, c'est déjà y penser.
Je repense à ma drogue, à l'envie de céder, à ma journée, à mes réflexions, à l'emprise de cette obsession sur ma vie, à mon envie de m'en débarrasser, à mon incapacité à m'en débarrasser. Je suis incapable de passer une journée sans y revenir, même si ce n'est que par la pensée, voire quelques heures. Je réfléchis à la période de répit maximale que j'ai eu cette journée : combien de temps suis je resté sans pensée compulsive, aidé par mes divertissements? quelques heures? quelques minutes? L'emprise semble continue, toutes mes pensées m'y ramènent, y compris celles-ci. Tout tourne et retourne.
Finalement, les stratagèmes et la fatigue auront raison de cette journée. Il est tard, je me dis que je céderai peut être demain, mais pas ce soir. Je suis fier de moi, j'ai tenu un jour de plus, même si je sais que la véritable victoire sera le premier jour où la tentation et les pensées compulsives n'auront pas même effleuré mon esprit. La fierté est très éphémère, elle s'estompe déjà devant le paysage de ma vie, mais j'ai tenu... C'est donc ça être drogué ? ou plutôt obsédé : la drogue a laissé place à son souvenir : une obsession.
Un jour de plus... je m'endors péniblement en ressassant cette idée. Difficile de s'endormir quand on ressasse de telles idées. Difficile de voir une victoire derrière un si petit pas. C'est une guerre de tranchées. Il faut s'en contenter. Je doute de plus en plus de voir la fin de cette guerre interne. Peut être faudra t'il que j'apprenne à vivre ainsi, en tension permanente. La situation est guère enviable, mais ai-je le choix? On a toujours le choix... mais quel choix?
Réveil brutal. J'ai encore mal dormi, j'ai rêvé d'elle. Cette addiction me poursuit jusque dans mon sommeil. Je n'en garde même pas un sentiment agréable, juste le sentiment d'être prisonnier, d'être harcelé par mon esprit qui m'échappe, y compris la nuit. Je cherche désespérément la paix, le sommeil n'est plus un refuge. J'essaye de me rendormir pour pouvoir démarrer une nouvelle journée...
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