lundi 12 janvier 2015

Tourner la page...

Expression qui m'a toujours interrogé.
Utilisée fréquemment, trop? pour inciter à passer à autre chose, voire pour critiquer un état de complaisance passive.
Je suis partagé entre son intelligence et la difficulté (l'impossibilité?) de l'appliquer.


L'intelligence de la métaphore : la vie est un livre, elle est une histoire, qui se déroule avec le temps. La vie est marquée par différentes périodes, différentes phases, qui forment autant de chapitres. Elle est peut être un peu plus décousue : tout n'est pas aussi bien rangé dans la vie, les histoires s'entremêlent sans cesse.
La métaphore de la page est bien trouvée : il s'agit de passer à la suite, sans oublier le passé. La suite de l'histoire ne se comprend qu'à la lumière de ce qui précède, elle s'appuie dessus. Le passé donne les clés du présent. Il n'est pas à occulter, mais à garder en mémoire, en mémoire froide. Le souvenir doit pouvoir être froid : purement intellectuel, dénué d'émotion. La première lecture d'un passage peut créer stupeur, surprise, effroi, tristesse, colère... La seconde lecture, quand on y revient pour y trouver un détail qui nous aurait échapper est beaucoup plus froide : l'émotion a disparu, l'onde de choc n'y est plus.

Mais la vie est elle comme ça? Elle est autrement plus décousue, plus complexe. Notre implication y est aussi de fait différente. Aussi bien écrit soit le bouquin, nous restons spectateur, les émotions sont vécues par projection, par empathie. Les émotions peuvent parfois être plus intense que dans la réalité : les situations décrites sont plus extrêmes, mais elles s'estompent rapidement. Le marquage émotionnel est plus faible.

Tourner la page est sans doute l'attitude la plus raisonnable, et surtout la plus souhaitable à avoir après la fin de n'importe quelle histoire. Ceci permet d'éviter la nostalgie, la souffrance... mais en même temps, c'est abandonner en partie ce qui constituait son être, un morceau de son humanité. Tourner le dos à ses émotions peut il être bon? Ne faut pas les garder un peu plus à la surface?

En pratique, nos réactions sont souvent différentes.
Pour poursuivre la métaphore, il y a ceux qui tournent un chapitre, ou qui change de livre. Il s'agit de changer de vie radicalement, on est très proche du refoulement, ou de la schizophrénie. Voilà à quoi conduit la logique du tourner la page poussée à l'extrême.
Il y a ceux qui tournent simplement la page, et passent à la suite, en gardant en tête, de manière plus ou moins distraite, l'histoire passée. On a la possibilité d'y retourner, d'invoquer le passé pour s'en souvenir, et voir ses impacts sur le présent.
Il y a ceux qui écrivent à la suite, sur la même page. Leur vie n'est pas un livre, mais un long parchemin. Tout est constamment sous notre regard. L'attention est portée sur un point précis, mais d'un léger déplacement du regard, on revoit le passé. On l’aperçoit constamment du coin de l’œil. Il nous hante d'une façon plus ou moins prononcée... il y a toujours des gentils fantômes ;) Nos actions sont souvent influencées par ce passé, le lien, la référence y est quasi permanente, en filigrane.
Et enfin, il y a ceux qui s'arrêtent d'écrire. Qui sont comme en état de choc, incapables d'aller plus loin. Leur histoire s'arrête, leur vie s'arrête. Le fantôme s'est transformé en démon, en terreur : on ne l'aperçoit plus seulement, il est face à nous, en nous, constamment et harcèle notre esprit, jusqu'à le figer. La vie est comme arrêtée pour ceux-ci, dans le meilleur des cas...

Les extrêmes sont une fois de plus à éviter. Quoique le premier est surtout néfaste pour l'entourage, pas pour le sujet : l'égoïsme, le côté obscur, a toujours un côté attirant, séduisant.
Mais on ne choisit pas toujours sa réaction émotionnelle, pour ne pas dire jamais, on choisit comment vivre avec, pour peu qu'on ait cette liberté.

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