lundi 8 avril 2013

Souffrance, Réalité et Vérité

Réflexion que j'ai depuis longtemps sur la conscience, il est temps que je la couche sur l'écran.
Il est des évidences difficiles à partager lorsque la subjectivité se fait trop présente, trop pressante, il est des situations qui deviennent difficile à gérer lorsque notre empathie vient empiéter sur nos valeurs, il est des situations déstabilisantes lorsque notre perception de la réalité ou de la vérité vacille.

La meilleure situation pour illustrer ceci est sans doute notre réaction face à la souffrance d'autrui.
La souffrance est un des sentiments qui nous fait le plus perdre l'objectivité (même si on peut dire ça de plein d'autres sentiments : amour, envie...) et c'est sans doute le sentiment qui génère le plus d'empathie.

Première évidence : toute souffrance, même réelle, non simulée, n'est pas Vérité. Ce n'est pas parce qu'on souffre qu'on a raison de souffrir, ou que la cause de notre souffrance est légitime, justifiée. C'est particulièrement vrai pour un enfant qui fait un caprice (et qui souffre pourtant sans limite, car son monde est très limité), mais c'est également vrai pour toute autre souffrance, née de la frustration ou d'une autre cause...
Certes, la souffrance peut rejoindre la Vérité, ou en tout cas notre définition de la Vérité, du Juste, du Bon :
- cas d'un enfant arraché à sa mère : tout le monde sera d'accord pour dire que la souffrance est justifiée et qu'il est normal d'essayer de rétablir un ordre juste
- cas d'un peuple qui souffre sous les ordres d'un dictateur sanguinaire
mais c'est loin d'être systématique.

La souffrance, quelle que soit son intensité, n'est pas un argument pour avoir raison, elle n'agit pas sur le même terrain que la logique, le Juste ou le Bon.

Et pourtant, la souffrance est génératrice d'empathie : même si on ne partage pas les raisons de la souffrance, ça nous fera toujours mal au coeur de voir un humain souffrir, nous aurons toujours le réflexe de lui venir en aide, au moins en réagissant sur le coup, en suivant son coeur, son instinct. Ensuite la raison peut prendre le dessus, l'empathie peut se transformer en agacement ou en énervement (cas du caprice de l'enfant, typique).
Mais tant que l'empathie fonctionnera, la souffrance aveuglera aussi bien celui qui la subit que son entourage.

Après, ça reste un choix, une priorité à se donner. Faut il d'abord faire passer son coeur, son empathie ou bien sa raison, son estimation de la Justesse, de la Légitimité, du Bon ? Sachant bien entendu que notre estimation du Bon (ou tout autre principe personnel) est tout aussi subjectif que la souffrance : notre estimation n'est jamais absolue, son seul mérite est d'être nôtre. Cela revient donc à opposer la souffrance de l'autre à son propre système de valeur, ses propres estimations.
Je ne possède pas La réponse. Je souhaite juste éclaircir ma position : connais toi toi même...
J'admire les romantiques ou les généreux qui placeront en premier lieu la souffrance de l'autre, s'effaceront derrière elle. Personnellement, je suis plus égoïste.
J'admire les romantiques pour leur don de soi et leurs valeurs de coeur. Mais je pense qu'ils se feront constamment avoir (tout comme les naïfs) : ils seront manipulables à merci, et face à la souffrance, en perdront leurs valeurs, leurs capacités de penser, leur esprit critique.
Or pour moi, c'est un devoir de l'homme de faire preuve de conscience, d'exercer son libre arbitre, de prendre parti. Certes, on peut se tromper en prenant parti, c'est la vie.

Donner raison au coeur, c'est beau, mais c'est à mon sens donner une force inégalée à tous les autres. La souffrance ne se discute pas, ne se mesure pas, ne se compare pas. On donne donc potentiellement raison à tous ceux qui souffrent, quelles que soient leurs idées ou leurs valeurs. On ne peut opposer qu'une raison supérieure ou égale dans sa hiérarchie de valeur, on ne peut y opposer que sa propre souffrance, mais on est dans l'incapacité de comparer, dans l'incapacité de trancher.

Dans l'absolu, c'est donc donner une force sans égale à tous ceux qui sont sensibles (ou manipulateurs) ou qui sont prêts à mourir, à souffrir -ou à faire souffrir- indépendamment des raisons ou des valeurs ou des causes de la souffrance. C'est par exemple donner raison à la vengeance : la vengeance n'est motivée que par la souffrance, le désir de faire souffrir l'autre en juste retour. Pour éviter la souffrance d'une victime, doit on aller jusqu'à accéder aux demandes du tortionnaire? Encore une fois, la réponse est discutable : chacun la sienne. C'est un choix de sacrifice : soit on sacrifie la victime, soit sa pensée, ses valeurs. Dans les 2 cas bien entendu, un tel choix créera un poids énorme sur la conscience.

Que faire alors face à quelqu'un de déterminé, qui souffre tellement qu'il est prêt à mourir ou à tuer pour obtenir gain de cause et faire taire sa souffrance? Bonne question... grave question...

On peut pardonner, tel le Christ, à celui dont la souffrance fait s'écarter de ce que nous jugeons comme bon, on peut aussi faire des concessions : si pour apaiser sa souffrance, sa demande, bien que non légitime (d'après notre jugement) est accessible, ne remet pas en cause nos valeurs et nous permet de conserver notre ligne de conduite. Ceci, pour caricaturer et choquer, revient à payer une rançon pour apaiser une souffrance, celle de la victime et celle du tortionnaire, ou plus couramment, à céder à un caprice d'un enfant. Quelques sous pour apaiser une colère, une souffrance, ce n'est pas grand chose. Ou bien on peut être droit, fidèle à ses principes, et ne rien céder, même si matériellement cela ne demanderait pas grand chose. On peut aider la personne qui souffre sans céder à sa demande, on peut tenter d'empêcher les tortionnaires de faire du mal (protéger les victimes) sans accéder à leurs demandes. Ils ne veulent pas de notre aide, ou notre aide est trop limitée : soit. Nous sommes limités. Cette pensée, cette réflexion même théorique me déchire le coeur et l'esprit.

En reprenant quelques uns de mes posts précédents, ma conclusion se fait toute seule. Un de mes principes, mon éthique, consiste à reconnaître à chacun le droit de décider pour lui même. De ce fait, je ne tolère pas de dicter la conduite d'une personne ou de se faire dicter sa conduite. La discussion, l'échange, la persuasion (par les idées) restent possible, mais dicter sa conduite par la force ou par les sentiments, je refuse. J'admire ceux qui font le choix de se faire dicter leur conduite par leur coeur : je ne puis m'y résoudre, je sombrerai dans la paranoïa et/ou la frustration. A soupçonner tout le monde de profiter de ma gentillesse, à voir de l'injustice partout. Le monde serait sans doute meilleure si tout le monde était comme ça, et c'est bien pour cela que j'admire ces personnes, mais je ne suis pas le Christ. Je serais plutôt Confucius, et à ce que je jugerai inamicale, je répondrai par la rectitude de mes principes.

Certes, je raisonne encore par les extrêmes : c'est pour mieux détacher les motivations du raisonnement. Oui la vie est faite de nuances... ces nuances viennent aussi en partie du fait que nous n'avons pas la force d'appliquer continuellement nos bons principes, notre bonne morale : nous ne sommes pas des saints. Et une fois ce comportement posée, cette échelle de valeur posée, cette non reconnaissance de la souffrance sur le domaine du Juste, il n'est pas évident de se tenir à ce principe : l'empathie agit toujours, il est toujours attirant d'écouter son coeur plutôt que la raison ou la morale, cette empathie peut faire vaciller notre perception de la réalité et nos principes mêmes... Comme je l'ai dit, ces dilemmes me déchirent le coeur et l'esprit, la décision est difficile à prendre, faire passer ses principes, sa morale avant l'empathie, avant le coeur est très difficile. La souffrance est quelque chose de palpable, la morale l'est beaucoup moins. Et pour peu que l'exigence de la souffrance reste faible, ne s'oppose pas fondamentalement à notre être, alors la balance penchera un peu plus du côté du coeur...

En un sens je suis égoïste, et je l'assume : je fais passer ma perception, mes valeurs, mes décisions avant celles des autres. J'accepte d'écouter les autres, j'accepte qu'ils essayent de me convaincre. Mais au final, je réclame le droit d'être seul à décider de mes actes. C'est pour moi le devoir d'un homme adulte. Et refuser cette part d'égoïsme, c'est pour moi nier son individualité, sa personnalité. Il faut être un minimum égoïste pour affirmer son existence (l'autre voie acceptable serait de ne faire qu'un avec l'Univers, mais là je m'écarte du sujet...).


Petite précision : la non reconnaissance de la souffrance n'empêche pas l'empathie. Cette non reconnaissance n'est là que sur le plan de la morale, pour déterminer ce qu'il est juste de faire. Ceci ne signifie pas qu'on ne doit pas reconnaître la souffrance, sa Réalité, qu'on ne doit pas essayer d'aider la personne qui souffre. Simplement sur le plan morale, elle n'a aucune valeur... Etre bon, avoir du coeur et être moral n'est pas toujours la même chose.

Petit exercice pour bien se mettre l'esprit en vrac : imaginez un preneur d'otages, vous payez la rançon ou pas? La payer serait en quelque sorte lui donner raison et créerait un précédent, donnerait l'exemple. Imaginez maintenant que la rançon s'élève à 1 euro... Quelque part, les principes peuvent aussi être vu comme des obstacles à la réflexion : une fois posées, plus de réflexion. Cette réflexion est tout à fait inattaquable je pense : vaut il mieux être un homme de principe ou un homme au cas par cas? Ce qui est certain, c'est que la réflexion à priori ne peut se faire que sur des principes, seule la réflexion pratique, seul le vécu peut se faire au cas par cas, lorsqu'ils se présentent. La réflexion à priori, sur les principes nous permet de mieux nous connaître nous mêmes et permet ensuite d'attaquer les cas du vécu de manière plus sereine, plus réfléchie, avec certains guides, certaines lignes directrices... Ceci méritera sans doute un autre post...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire